Peut-on encore rêver d’un monde sans armes nucléaires ? Quatre ans après l’entrée en vigueur du Traité de l’interdiction des armes nucléaires, ratifié en 2021 par cinquante pays, l’organisation japonaise Nihon Hidankyo qui regroupe les survivants des bombes A et H (Prix Nobel de la Paix 2024) est en visite en France pour rappeler les risques que font courir à l’humanité les armes atomiques. Plus le temps passe, plus la mémoire s’efface. Ils ne sont plus très nombreux les hibakushas, comme on appelle en japonais les survivants des bombardements atomiques américains sur Hiroshima et Nagasaki. « Le 9 août 1945, j’avais quatre ans. Nous étions une famille de six personnes et vivions à 5 km du point zéro », raconte Shigemitsu Tanaka, 84 ans, l’un des derniers témoins de l’enfer nucléaire. « J’étais en train de jouer avec mon petit frère et mon grand-père dans le jardin. J'ai à peine eu le temps de dire “Papi, j’entends un avion !” que le ciel de Nagasaki était éclairé par un flash blanc. Puis il y a une détonation, et le souffle de l’explosion. Abasourdi, j’ai couru vers ma mère en criant : “la bombe, sur la montagne!” Les vitres ont été brisées, les portes coulissantes arrachées. Le lendemain, ma mère est allée aider à transporter les irradiés dans l’école près de chez nous. Dans les salles de classes, des blessés de tout âge étaient allongés, la plupart étaient si gravement atteints qu’on ne pouvait pas distinguer s’ils étaient des hommes ou des femmes. Ils gémissaient... une puanteur étrange emplissait l’air ». Passeurs de mémoire, militants du pacifismeCe petit homme chauve à lunettes, cheminot à la retraite est aujourd’hui vice-président de Nihon Hidankyo, qui cherche activement à sensibiliser les jeunes générations de Japonais pour que leur histoire ne sombre pas dans l’oubli, dans un pays qui depuis 2022 se remilitarise, et s’éloigne de plus en plus du pacifisme inscrit dans la Constitution japonaise après la seconde guerre mondiale. « Avec seulement deux bombes atomiques, les villes de Nagasaki et Hiroshima ont été transformées en un instant en un amas de ruines. Le rayonnement thermique atteignait plusieurs dizaines de milliers de degrés Celsius : les corps humains se sont évaporés, brûlés » rappelle Shigemitsu Tanaka. « Ensuite, les radiations radioactives ont déchiré les organismes de ceux qui étaient encore vivants ».Sur les 650 000 personnes irradiées, 250 000 sont décédées avant la fin de l’année 1945, dont 40 000 enfants. Après une décennie de censure et de discriminations à l’encontre des Hibakushas, l’organisation japonaise, Nihon Hidankyo, est fondée en 1956 pour demander une indemnisation de la part de l’état japonais, responsable de l’attaque de Pearl Harbor, qui a conduit à l’entrée en guerre des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.Aujourd’hui, Shigemitsu Tanaka est très inquiet : « Il y a des conflits en Ukraine et au Moyen-Orient. La Russie et Israël possèdent des armes nucléaires et l’idée que les armes nucléaires ne devraient pas être utilisées, n'est plus aussi tabou. Certaines puissance nucléaires n'ont pas peur de menacer de l'utiliser ». Il mentionne en outre les progrès technologiques qui ont rendu les armes nucléaires plus petites, plus portables, plus sophistiquées. « La bombe de 1945 qui est tombée sur ma ville est un engin artisanal comparé aux armes nucléaires d’aujourd’hui ».Divisions autour du Traité pour l’interdiction des armes nucléaires (TIAN)En visite en France, invité par le syndicat des travailleurs français CGT, les Hibakushas demandent à la France, quatrième puissance nucléaire mondiale, de s’engager au moins « moralement » pour un monde sans armes atomiques, en acceptant de siéger comme « observateur » à la prochaine assemblée du TIAN qui aura lieu en mars. Le TIAN, ce jeune Traité des Nations unies pour l’Interdiction des armes nucléaires, a été signé il y a quatre ans presque jour pour jour, par 93 pays, la plupart d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie. Mais aucun des pays couverts par le « parapluie américain » tels que le Japon, l’Allemagne ou les pays Baltes n’y participent. Encore moins, les neuf États détenteurs de l’arme nucléaire - dont la France - qui ont même refusé de prendre part aux négociations préalables de ce traité.Les puissances nucléaires considèrent qu’il n’est pas « réaliste » d’envisager un monde sans armes nucléaires, et estiment que le TIAN sape la portée du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, en vigueur depuis 1970, et signé par quasi tous les pays du monde dans un effort de contrôler et réduire le stock d’armes atomiques.À lire aussiNucléaire: les signataires du TIAN à Vienne, sans la Russie, la France ou ...